EXCLUSIF. Thibaut Pinot : « Je suis en marge de ce milieu, et même de la société je crois »
C’était un samedi soir de décembre dans la tiédeur ibère. L’arrière-salle d’un hall d’hôtel façon backstage foutraque, des câbles au sol, des bidons inanimés, des gaines, une baie vitrée et la mer juste là. Deux chaises pliantes noires. Thibaut Pinot assis sur une, jogging remonté au-dessus des mollets, sweat à capuche. Bien, pas bien, triste, drôle, nostalgique, sensitif, instinctif.
On vous le dit : ce grand entretien est le point de départ d’une nouvelle aventure pour Prolongation. Thibaut Pinot a accepté d’être notre chroniqueur exclusif tout ce mois de janvier, un an après Arnaud Démare. Ce sera chaque vendredi, il aura carte blanche.
Juillet dernier. Vous vouliez absolument aller à Tignes, rejoindre l’équipe en stage. « J’avais envie de retrouver mes coéquipiers », disiez-vous. Quoi, à travers eux ?
Retrouver qui je suis, finalement… (silence)… Retrouver le coureur cycliste que j’avais perdu depuis quelques mois. Les trois mois où j’ai été éloigné de tout ça, c’était trois mois interminables. Surtout quand tu n’es pas en retraite ou que tu n’as pas arrêté. En retraite, c’est différent je pense, mais tant que tu es coureur, tu es toujours dans l’objectif de performer. Et tu n’as qu’une envie c’est ça. Performer. Rien d’autre.
On est cycliste parce qu’on a des rituels, des coéquipiers, un calendrier ?
Oui, c’est ça. Et encore au-delà. Coureur cycliste, c’est toute la journée. Ce n’est pas comme un boulot où tu fais 8h-12h puis 14h-18h. Cycliste, tu te lèves le matin tu es déjà « vélo ». Tu te couches le soir, t’es toujours « vélo ». C’est toute la journée, coureur. Quand tu dis que tu as fait deux heures de vélo dans ta journée, on peut te répondre « Ah bah c’est cool, ta journée a été tranquille ». Sauf que t’as pensé vélo dix heures. Tout ce que tu fais est centré là-dessus. Tu sais, quand tu vas faire les magasins, que tu vas avoir mal aux pattes le lendemain. Tu veux aller boire une bière, tu sais que le lendemain, elle t’a peut-être plus fait de mal que de bien. Sur le coup, elle t’a fait du bien, mais malgré tout avec cette arrière-pensée, cette petite voix qui te dit que ce n’est pas top. C’est pareil pour ce que tu manges, pour le repos, la récupération, le sommeil. L’énergie que tu dépenses à droite à gauche, ça peut être néfaste pour le lendemain.
Sept jours sur sept.
C’est du H24. Et puis tu stresses aussi de bien dormir parce que le lendemain tu as une séance de cinq ou six heures à faire et que tu dois être là. Comme tu dois être là sur une course. Même à l’entraînement, je me mets une certaine pression à être bien le lendemain.
Vous avez des échappatoires durant lesquels, mentalement, vous pourriez couper complètement ?
J’ai la chance d’avoir une vie à côté du vélo qui est très riche et plutôt très prenante avec ma ferme. Je pense que certains coureurs seraient choqués de voir ma vie hors vélo. Certains font cinq heures de vélo, se mettent ensuite dans le canapé ou sous la couette et attendent le repas du soir. Moi non. J’enlève du fumier, je nourris mes bêtes, ça me prend deux ou trois heures par jour. J’y pense parfois, je me dis que ce n’est pas bien de faire ça, mais ça me fait du bien.
On vous sait hyperactif depuis toujours de toute façon.
Oui, je suis hyperactif, peut-être trop justement. C’est un défaut dans le sport de haut niveau. L’énergie que tu ne mets pas sur le vélo, tu la mets ailleurs. Des fois, je m’entraîne et ce que je fais l’après-midi auprès de mes bestioles ça me bouffe autant d’énergie que le matin. Et c’est en plus.
Les trois mois dont vous parliez ont été « interminables » dites-vous. On parle là de souffrance.
Mentale, oui. Surtout que pour moi, c’était la période du Giro, Giro que j’avais envie de faire et qui était prévu, à la base, dans mon programme. Il y avait des courses tous les jours… Quoi que tu fasses, tout te ramène à ta condition dans ces moments-là. Tu allumes Twitter, la télé, n’importe quoi, tu fais toujours face à une info de vélo. Même les gens te le rappellent. Quand tu vas faire tes courses, quand tu vas à la boulangerie. Surtout dans mon petit village. Il n’y a pas une journée où on ne te parle pas de vélo. On me ramène toujours à ça. Tout le monde me parlait de la Vuelta. C’était des : « On espère te voir à la Vuelta ». Et moi, je répondais « oui » tout en sachant que ce ne serait pas possible. Même en mai je savais que ce ne serait pas possible. Mais je ne pouvais pas le leur dire, je ne voulais pas les décevoir.
« Je n’ai pas souvent pensé à moi dans ma carrière, au final. J’ai beaucoup pensé à l’équipe »
Vous avez toujours ce souci de ne pas décevoir ?
Ouais j’ai toujours le souci de ne pas décevoir. J’ai toujours envie de donner des émotions aux gens qui me soutiennent, surtout dans cette période là où j’ai été énormément soutenu. Ces gens-là, j’ai envie...
Partager cet article EXCLUSIF. Thibaut Pinot : « Je suis en marge de ce milieu, et même de la société je crois »Ouest-France.fr
Articles Liés