Dave Gahan : “Je me sens connecté à ce qui est humain et vulnérable”
Avant leur concert ce vendredi à la Salle Pleyel, Dave Gahan et Rich Machin nous ont parlé du sublime nouvel album de Soulsavers, entièrement composé de reprises intenses, façon gospel/blues. Rencontre.
Votre précédent album commun, Angels & Ghosts, date de 2015. A quel moment avez-vous eu l’idée de faire des reprises pour votre nouvel album ?
Rich Machin – C’est Dave qui y a pensé en premier et on l’a évoqué au téléphone.
Dave Gahan – On est constamment en train de parler de musique, de se faire écouter des trucs qu’on aime et j’aime bien suivre les recommandations de Rich, que ce soit le nouveau Cat Power ou un enregistrement pirate de R. L. Burnside. Quand on a envisagé un nouvel album, j’ai commencé à travailler de mon côté, mais en écoutant ce que j’avais enregistré dans mes notes vocales je me suis rendu compte que c’était nul ! Impossible de faire écouter ça à qui que ce soit (rires). Je crois aussi que me sentais épuisé : je sortais tout juste d’une période de travail avec mon groupe, Depeche Mode. Je n’étais pas sûr d’avoir envie de m’y replonger, de continuer à faire de la musique.
C’est ce qui m’arrive toujours après une longue période de travail, j’ai toujours besoin de prendre du recul. Donc l’idée de travailler sur les chansons d’autres artistes m’attirait davantage. J’ai pensé que ce serait le bon moment pour faire ça. J’ai déjà bossé avec Rich sur plusieurs albums de Soulsavers et je savais qu’il était largement capable, en tant que producteur, de réunir autour de moi le groupe idéal pour explorer cette idée d’interpréter des reprises.
R.M. – Aujourd’hui, quand je regarde Dave chanter ces chansons, j’en viens à oublier que ce sont des reprises. Il s’y est immergé complètement et elles sont devenues les siennes, avec sa propre touche. Je ne croyais pas que ce serait possible sur tout un album, à la rigueur ça fonctionne sur une ou deux chansons. Mais avec Dave, c’est le cas du début à la fin de l’album et même maintenant quand on les joue sur scène.
Sur ce nouvel album, vous reprenez notamment Cat Power et PJ Harvey. Vous reconnaissez-vous souvent dans des chansons écrites par des femmes ?
D.G. – Ce qui m’attire, ce sont les voix. Peu importe si c’est une voix masculine ou féminine. Je suis PJ Harvey depuis ses débuts, notamment les albums qu’elle a faits avec Flood (producteur anglais, également collaborateur de Depeche Mode, ndlr). Je me suis mis à écouter Cat Power plus tard. Sa voix me parle tout comme celles de Bob Dylan ou de Mark Lanegan. Je suis sûre que tout le monde ressent ça. Quand j’ai rencontré ma femme, Jennifer, je suis allé chez elle à New York et elle écoutait beaucoup Billie Holiday.
C’est toujours le cas, d’ailleurs, et je vois bien que cette voix lui plaît particulièrement, qu’elle y retrouve quelque chose d’elle-même. Parfois, ça ne passe même pas par les paroles, ni par la mélodie – c’est simplement le timbre de voix. Voilà ce qui m’attire dans une chanson au départ.
Le titre de ce nouvel album, Imposter (“imposteur” en VF), peut avoir une connotation négative, mais il peut aussi aussi exprimer cette capacité de montrer de multiples aspects de votre personnalité sur différentes chansons…
D.G. – Oui. Au fil des années, j’ai fini par comprendre qu’il y avait plein de différentes interprétations de moi-même en fonction de si je suis seul ou non, avec qui je me trouve, si j’ai envie de montrer telle ou telle facette à telle personne… La musique me permet vraiment d’exprimer une grande partie de moi-même. Je crois que nous avons tous déjà ressenti le syndrome de l’imposteur. Chacun d’entre nous a déjà mis un masque, une attitude de façade qu’on se crée. Quand on rentre chez soi, on peut enfin se lâcher et faire ce qu’on veut, mais c’est dur de laisser voir cette facette de soi au monde extérieur. En même temps, ça fait partie de la nature humaine de s’auto-protéger et de se créer une image publique. Ce que je montre de moi à travers mes chansons représente une grande partie de qui je suis, mais pas la totalité. Je ne vais quand même pas tout vous montrer ! (sourire)
Vous avez coproduit cet album tous les deux. Aviez-vous dès le départ une idée très précise du résultat que vous vouliez obtenir ?
D.G. – Mon nom figure à côté du sien, mais c’est surtout Rich qui l’a produit !
R.M. – A la fin du processus, je me suis dit que Dave avait énormément apporté à cet album, donc à mes yeux nous l’avons coproduit. Il a fait plein de remarques judicieuses concernant le son et on a partagé la même vision. Il a joué un rôle très important pour guider les musiciens vers ces sonorités. Sa contribution devait donc être soulignée car il ne s’est pas contenté de chanter. Il a participé à toute la conception de ce disque. Dès le début, on avait envie que les musiciens jouent tous ensemble dans une seule pièce et que cela se sente à l’écoute. C’est comme ça que se fabriquaient les disques à l’origine et c’est comme ça qu’on obtient le meilleur son encore aujourd’hui. Il faut capturer une performance. Dave voulait aussi qu’en l’écoutant on ait l’impression d’être dans la même pièce que le groupe qui joue, d’en faire partie. C’est en partie pour cette raison qu’on a choisi d’aller enregistrer à Shangri-La (le studio californien de Rick Rubin, ndlr). Rick Rubin y a fait des albums qui donnent vraiment l’impression de se trouver dans la même pièce que le groupe. On voulait aussi qu’il y ait un côté très intimiste.
D.G. – Et vulnérable. Quand on réunit des musiciens pour former un groupe, on ne sait pas si ça va fonctionner mais on souhaite tous que ce soit le cas. Tu veux communiquer quelque chose à une autre personne. Parfois, la musique est la façon la plus simple que j’ai pour communiquer. Je me suis rendu compte au fil des années que je me sens connecté à ce qui est humain et vulnérable. Ce qui peut basculer dans le gouffre à n’importe quel moment. Parfois, quand je chante, j’ai l’impression de livrer une performance incroyable et d’être à fond, mais quand je regarde les autres autour je vois que ce n’est pas ce qu’ils pensent ! (rires) Et puis, parfois il y a des moments où je croise les regards des autres et je suis dans mon élément avec eux. C’est pour ça que je fais encore ce métier. J’ai encore envie de retrouver ces moments où j’ai une sensation d’appartenance. J’ai plein d’occasions autour de moi pour avoir ce sentiment, crois-moi, mais je ne m’autorise pas souvent de ressentir ça.
C’est Rick Rubin qui a enregistré les American Recordings de Johnny Cash, des albums auxquels on pense forcément en écoutant Imposter…
R.M. – Les American Recordings sont exactement ce que j’évoquais juste avant. En écoutant ces albums, on est dans la même pièce que les musiciens. La voix est mise en avant, elle t’embarque complètement, ce qui rend l’écoute très intimiste. On voulait provoquer le même effet sur nos auditeurs. Plusieurs autres albums nous ont influencés, par exemple l’album live de Cowboy Junkies (The Trinity Session, ndlr), qui donne l’impression que le groupe est en train de jouer juste pour toi.
D.G. – Rick Rubin a imaginé cet endroit de telle façon qu’il encourage la créativité et l’alchimie entre les musiciens.
R.M. – J’ai vécu sur place quand on faisait l’album et je m’y sentais intégré, en osmose. Je ne suis pas toujours convaincu par les studios qui sont aussi des lieux de vie, mais celui-ci est vraiment à part.
D.G. – Avec Depeche Mode, j’ai été amené à travailler dans des studios qui nous logeaient sur place, comme le studio Puk au Danemark. Pour Songs of Faith and Devotion, on a décidé d’installer tout un studio dans une maison à Madrid, ce qui s’est révélé une idée complètement désastreuse ! (rires) Pour plein de raisons… Je crois qu’on y est restés plusieurs mois et disons que ça n’a pas trop fonctionné. On n’a pu faire que quelques chansons là-bas, mais il y en a une en particulier que je trouve toujours très intéressante. C’est Condemnation.
Elle est tout à fait dans l’esprit de l’album Imposter.
D.G. – Je ne sais pas trop ce que le reste du groupe était en train d’enregistrer. J’avais une chambre sur place et je descendais de temps en temps pour enregistrer avec eux. Un jour, Flood, qui nous produisait, est venu frapper à ma porte et m’a demandé si je pouvais venir les rejoindre pour enregistrer. Je crois que j’étais en train de peindre. Je suis arrivé et ils préparaient une chanson avec des chants gospel. Mon micro était installé dans un garage. Ils m’ont fait écouter le morceau et je me suis mis à chanter.
C’est la première fois que j’ai ressenti que j’étais vraiment dans la chanson, que cette chanson m’appartenait. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que j’écrive moi-même des chansons. Je n’essayais pas d’apaiser quelqu’un d’autre. C’était un moment parfait. Je suis allé voir Flood, il m’a regardé par-dessus ses lunettes et il m’a dit : “ok, c’est bon !” Je n’y croyais pas, d’habitude il fallait faire plein de modifications, il me faisait des listes de vers ou de mots à reprendre. Alors que là, non, c’était bouclé en deux prises, j’ai pu regagner ma chambre et y disparaître à nouveau. Sur Imposter, chanson après chanson, tout a été simple à faire. J’avais un peu d’appréhension au début, je me demandais si ça allait marcher mais en fait si !
Chaque jour a été comme le jour de Condemnation. Il y a eu beaucoup de préparation pour obtenir ça, et je suis d’ailleurs beaucoup plus discipliné qu’avant. J’ai compris que si je travaillais beaucoup les morceaux en amont, je pourrais arriver le jour de l’enregistrement et faire cette performance en peu de prises. Tout le monde a l’air épaté que j’y arrive aussi facilement, mais en réalité j’ai répété chaque chanson des milliers de fois pour en arriver à ça le jour J.
Comment vous sentez-vous sur scène quand vous jouez les chansons d’Imposter ?
R.M. – On vient de traverser deux années de stress, d’anxiété et d’incertitude. Se retrouver à nouveau dans une salle avec un public est devenu un scénario étrange. Mais dès qu’on est sur scène, entre amis, presque en famille, tous ensemble, on ne fait plus qu’un. On ressent une joie immense. Plus rien n’existe en dehors à ce moment précis et on oublie tout.
D.G. – Je suis toujours à la recherche de ce moment-là, de ces émotions-là. On a fait plusieurs concerts pour cet album dans des endroits très différents, en public, et à chaque fois je me suis dit que j’avais très envie de refaire cette expérience. La scène, c’est l’endroit où j’ai envie d’être, c’est tout moi, c’est précisément ce que j’adore ressentir.
Album Imposter (Columbia/Sony Music)
Concert le 10 décembre à Paris (Salle Pleyel)
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