Comment font-ils ? (Ep. 4) : IMOCA et développement durable
Ils tournent autour du Globe poussés par la seule force du vent, mais sur des voiliers en carbone qui ont coûté très cher à l’environnement. Comment les teams font-elles pour concilier leur adoration de la mer, de la nature avec un sport pas si propre ?
Une question qui fait polémique
Est-il vraiment sérieux d’interroger des skippers ou leur préparateur entièrement tourné vers la performance à quelques mois du départ d’une course majeure sur la manière dont ils réduisent l’impact environnemental de leur projet sportif ? En dehors de la thématique même de ce numéro, la question est pourtant sur toute les lèvres –des marins comme des non-marins – depuis la médiatique transatlantique de Greta Thunberg à bord du 60 pieds de Boris Herrmann. Une traversée à la seule force du vent qui a eu le mérite de donner un coup de projecteur sur les IMOCA tout en créant la polémique autour de leur conception. Un IMOCA 100 % carbone, ou quasi, est loin d’être exemplaire.
Comme sur nos voiliers de plaisance, absolument rien à leur bord, du bulbe de quille à la tête de mât n’est écoresponsable : leur âme est synthétique tout autant que leur peau en carbone, leurs voiles sont impossible à recycler de même que les kilomètres de bouts qui permettent aux skippers de les animer sur le plan d’eau. Retenons quand même quelques pièces en inox et le fait que ces bêtes de course qui tournent autour du Globe poussés par le vent soient alimentées en énergie par le soleil ou le vent en n’emportant dans leur périple qu’une quantité négligeable d’énergies fossiles (aucune dans le cadre de la transat de Greta T.).
Si la polémique est récente, l’intérêt de la classe et de certains coureurs pour le sujet est ancien. Car tout en étant focalisé à tout prix (y compris environnemental) sur la performance mécanique de leurs voiliers, cette classe tournée vers l’innovation a permis la mise au point d’au moins un équipement écoresponsable : l’hydrogénérateur Watt&Sea développé par Yannick Bestaven. Un produit qui s’est depuis largement diffusé chez tous les coureurs et chez les plaisanciers.
Comme tout sport mécanique de haut niveau, la course au large a ses répercussions bénéfiques sur la plaisance. C’est pourquoi ont attend beaucoup d’elle, notamment en ce qui concerne l’utilisation de résine biosourcée, voire de fibres naturelles pour la construction. Si la graine écolo est plantée dans l’esprit des coureurs (dont un certain nombre se retrouve dans le collectif La Vague, voir encadré), la course au large est un artisanat qui n’a pas non plus une capacité de recherche et de développement illimitée.
Un petit tour dans le hangar de MACSF
Pour juger des tenants et des aboutissants, je me suis rendu à Lorient, au sein de l’équipe de MACSF alors en plein chantier d’optimisation sur l’IMOCA d’Isabelle Joschke. C’est Marine Viau, coordinatrice générale du projet, qui m’a accueilli pour une visite guidée du chantier et une discussion franche sur l’impact environnemental d’un projet Vendée Globe. On sent vite que le sujet touche le cœur de Marine, mais aussi de toute l’équipe constituée autour de la navigatrice. Comment conjuguer les convictions environnementales de chacun avec les impératifs techniques et sportifs de la team ? Et encore, nous sommes ici dans une équipe de préparation et non un chantier.
On y produit proportionnellement moins de déchets, mais le respect des bonnes manières (recyclage, protection du personnel, de l’environnement) ne dépend que du niveau d’exigence fixé avec le skipper et le chef de projet (Alain Gautier), à la différence d’un chantier qui sera inspecté et mis à l’amende par les autorités. Pourtant, la liste des produits nocifs et/ou à usage unique est ici longue comme un foil ! « Dès que le bateau entre en chantier, on protège entièrement le pont et sa déco qui a elle-même généré énormément de déchets. » En cause : la quantité des scotchs de masquage nécessaire pour le peindre aux couleurs du sponsor. « Le pont est peint, mais sur la coque on utilise des stickers qui produisent moins de déchets, mais comment sont-ils produits ? »
Bref, au moindre petit chantier à bord, le pont et l’intérieur se couvrent de protections en plastique ou en carton vite souillées par de la résine et la poussière de carbone qui rejoindront de fait les pinceaux et les récipients dans une poubelle spécifique. Car sur le chantier, le tri des déchets est scrupuleusement mis en place : d’un côté les emballages recyclables, de l’autre le tout-venant et, bien à part, les piles, les sprays, les inclassables (résidus de carbone, d’âme Nomex, dont personne ne veut) et les produits souillés.
Une dernière catégorie que MACSF va confier à une entreprise spécialisée (clikeco). Un choix libre, qui a un coût (env. 7 000 €), à l’initiative de chaque team. MACSF cherche en ce sens l’exemplarité dans la mesure de ses moyens qui sont ceux d’une team professionnel qui emploie cinq permanents dont le skipper, mais dont le budget est somme toute modeste et où chaque investissement qui ne tend pas vers l’objectif sportif doit être pesé. Évidemment, MACSF n’invente rien : ce tri basique, qui semble être une évidence, est déjà une obligation pour tous les chantiers, pour les ports. Il suffit de se rendre derrière la capitainerie de La Base pour visualiser les différents containers de déchets plus ou moins toxiques. La capitainerie de Lorient est sur ce point exemplaire en prenant en charge les déchets des petites équipes tandis que les plus grosses comme Banque Populaire et Gitana mutualisent l’enlèvement et le traitement de leurs déchets.
Le tri est un premier pas évident et Marie – sans langue de bois –, m’entraine vite sur une problématique plus complexe à résoudre : le gaspillage. « Lors de la préparation d’un IMOCA, on est en course ! Une course pour optimiser, fiabiliser et atteindre un niveau de performances requis. Comme il s’agit d’un sport mécanique forcément sujet à la casse, nous devons faire un renouvellement préventif du matériel. On ne peut pas prendre le risque d’attendre l’usure, la casse. Voilà comment on en arrive à changer un accastillage fonctionnel (winch, bloqueur, drisse, etc.). Forcément, on aimerait que ça parte vers un marché de seconde main, mais à qui vendre ce matériel surdimensionné qui a perdu en fiabilité ? C’est sur ce type de sujet qu’on attend un coup de pouce de la classe sans parler des voiles que même les déchetteries refusent. »
Pour la seconde main les voiles d’IMOCA raides, aux coupes compliquées sont difficiles à retailler même pour un sac ! En poursuivant notre discussion avec Marie, un besoin ressort clairement : l’envie d’appartenir à un réseau avec un effet de groupe, un partage des connaissances pour mieux valoriser matériel d’occasion et déchets. « Nous venons d’enlever un peu plus de 2 m2 de peau en carbone dont personne ne veut, car la quantité est trop faible. Une mise en commun de ce type de déchet entre tous les teams de la Classe pourrait sans doute débloquerles choses. » C’est un sujet à creuser, car la filière existe notamment à Toulouse où les déchets carbone d’Airbus sont valorisés.
La classe IMOCA veut réduire son impact carbone
La Classe IMOCA, n’est pourtant pas inactive et permet déjà de réduire l’impact des équipes en mutualisant de certains moyens matériel et humain tels que le partage de semi-rigides aux départs des courses, la distribution de gourdes en inox auprès des skippers et de leurs équipes. Une action de sensibilisation pas si symbolique qui cache une réflexion de fond qui pourrait déboucher sur l’intégration de bio-composites dans la jauge IMOCA 2021 et sur des voiliers 100% énergies propres pour la prochaine édition du Vendée Globe (2024).
En 2012, il y a deux Vendée globe on partait avec 200 litres de gasoil. Aujourd’hui, les skippers conservent environ 100 litres à bord. L’hydrogénérateur rapporté sur le tableau arrière de Yannick Bestaven est ce qui reste le top et on voit un retour dans le match des éoliennes. MACSF en dispose d’une déportée en arrière sur tribord, car elle présente toujours un grand risque sur un monocoque lors des manœuvres (l’écoute de GV peu se prendre dedans). Mais les marins ont encore besoin d’énergies fossiles notamment pour répondre aux exigences de la course en télécommunication. Envoyer des photos, du son et des vidéos à un coût énergétique énorme. Du coup un IMOCA en course a besoin d’une à deux charges par jours.
Mais en mode dégradé, avec moins de communication, moins d’électronique, on peut se passer totalement d’énergie fossile. On touche là au bilan des courses qui sont intrinsèquement très énergivores pour les sociétés d’organisations. Pour les équipes, tout dépend de la projection nécessaire. «MASCF se déplace au départ et à l’arrivée de chaque course avec une palette de matériel et trois personnes : le chef de projet, le boat captain et un technicien. Sur le Vendée Globe, c’est différent : on joue à domicile et il n’y a pas d’escale. Chaque team met à l’eau un pneumatique fortement motorisé (250 ch) pour assurer la sécurité autour du bateau.
Reste un point très positif, non négligeable lorsque l’on parle d’impact environnemental que l’IMOCA d’Isabelle Joschke illustre parfaitement : la durabilité de ces voiliers de haute technologie. MACSF est sorti du chantier de Laros en 2007 et il est loin d’être une exception dans la flotte des IMOCA. Ce monocoque conçu par Vincent Lauriot-Prévost et Guillaume Verdier (ex-safran, Quéguiner – Leucémie Espoir, Sensations i, Generali et Monin) s’est déjà aligné au départ de trois Vendée Globe, trois Route du Rhum et six Transat Jacques Vabres !
Dans les sports mécaniques cette durabilité est unique et directement liée à la gestion de la classe IMOCA qui permet aux bateaux d’ancienne génération de rester compétitif et à leurs conceptions intrinsèquement structurelles qui permet de modifier à l’infini ces monocoques pour qu’ils restent dans la course. Un monde sépare ainsi le Safran de Marc Guillemot de 2007 et le MACSF d’Isabelle Joschke d’aujourd’hui lequel a abandonné ses dérives droites implantées sur le pont au profil de deux longs foils perçant le bordé, mais aussi changé son gréement à barre de flèche pour un mât tenu par des outriggers et modifié ses ballasts, sa casquette, etc.
Des évolutions essentielles qui impliquent toujours de déconstruire puis de reconstruire une partie de la coque et de sa structure, mais avec un bilan économique et écologique toujours plus positif qu’un chantier qui repartirait d’une feuille blanche. C’est là, une des forces de l’IMOCA, de la course au large et de la voile au sens large : tous ces voiliers qui affichent encore aujourd’hui un bilan carbone catastrophique en phase de construction, peuvent avoir un impact écologique neutre durant leur utilisation et réussissent grâce à leur durabilité (10 à 20 ans) à lisser dans le temps leur répercussions sur l’environnement.
N. B. : Une série originale pensée et réalisée par Voile Magazine à relire dans votre magazine préféré ou à retrouver chaque semaine sur notre site Voile&Moteur. A venir ou à revoir :
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