Olivier Innocenti, au-delà des notes - ResMusicaResMusica
Artistes, Compositeurs, Entretiens, InstrumentistesLe 1 décembre 2021 par Patrice ImbaudPlus de détails
Musicien atypique qui séduit et intrigue tout à la fois par son éclectisme, Olivier Innocenti se prête à nos questions afin d’éclairer une personnalité attachante et quelque peu iconoclaste aux multiples facettes.
ResMusica : Accordéoniste, bandonéoniste, pédagogue, compositeur, improvisateur et performer exploitant toutes les transversalités possibles de la musique, expliquez-nous le pourquoi de l’accordéon de concert.
Olivier Innocenti : C’est étonnamment en écoutant une fugue de Bach jouée à l’accordéon que j’ai eu le coup de foudre pour cet instrument. J’avais, à l’époque, huit ans et je décidais alors de commencer mes études musicales dans la classe de Christiane Bonnay à Monaco puis dans celle de Max Bonnay à Paris, deux des précurseurs de l’accordéon de concert qui m’ont permis plus tard de consolider une formation internationale, allemande, scandinave et russe notamment, par le truchement de l’Union Nationale des Accordéonistes Français (UNAF) tout en m’ouvrant parallèlement la voie vers la musique électro acoustique sous la direction de Christophe Oger.
RM : D’accord pour l’accordéon de concert, mais pourquoi le bandonéon alors que vous n’êtes pas tanguero ? N’est-ce pas un peu risqué de se promener entre deux mondes ?
OI : J’ai abordé l’accordéon comme générateur de son pour des pièces électroacoustiques. En utilisant le bandonéon chromatique, j’ai voulu explorer les œuvres classiques habituellement jouées à l’accordéon ; Bach bien sûr, mais surtout François Couperin car il existe une vraie analogie de tessiture ou plutôt d’ambitus entre le clavecin (à l’inverse de l’orgue) et le bandonéon. Il faut d’ailleurs rappeler pour la petite histoire que le bandonéon était utilisé pour les offices religieux en Allemagne au XIXe siècle, au même titre que l’harmonium qui appartient lui aussi, comme l’accordéon ou l’orgue, aux instruments à anches libres.
RM : Jouer Couperin au bandonéon sans appartenir au monde « baroqueux » et du bandonéon sans être tanguero, être également performer en même temps qu’un accordéoniste de concert reconnu, comment vit-on tout cela ?
OI : C’est probablement au travers de mon activité d’enseignant et de compositeur que j’ai pu mettre des bornes à mes ardeurs créatrices et faire la synthèse de mes activités transgressives ! (rires) A partir de la collecte de sons et de recherche de matériaux sonores dans le dispositif électroacoustique, j’ai été amené à développer l’improvisation sur des instruments que je ne maitrisais pas forcément en tant que soliste, comme par exemple le piano que je n’aborde qu’au travers de l’improvisation. Le fruit de cette expérience, de cette joie et de cette passion, je la transmets dans mes cours d’improvisation générative au conservatoire, dans le cadre du module « musique en mouvement » délivrés en commun avec les classes de danse, et c’est à cet endroit-là qu’on explore la situation de la performance, c’est-à-dire l’expression d’une musique, d’un art intérieur, moment d’une correspondance entre tous les participants à un instant « t » dans un nouvel espace de liberté commun ainsi créé. C’est en définitive une situation donnée, la circonstance, qui initie l’improvisation générative ouvrant ainsi sur une vision plus transversale de la musique, en collaboration avec les autres domaines artistiques comme la danse, le théâtre, la vidéo, etc.
RM : Cette improvisation générative vous amène tout naturellement au domaine de la performance. Pouvez-vous nous en dire un petit mot ?
OI : J’ai débuté ce type d’expérience, à Nice, à l’âge de 20 ans, par des concerts-lectures en duo avec mon ami Florient Azoulay, comédien et dramaturge, puis les rencontres se sont multipliées avec les metteurs en scène et chorégraphes, entretenues par mon appétence pour les recherches sur le son, ouvrant sur des coopérations avec le théâtre (Niels Arestrup ou Xavier Gallais), le cinéma (Laurent Fiévet) ou encore la danse (Abou et Nawal Lagraa) ou la radio (Le fantôme d’Azyiadé de Pierre Loti sur France Culture).
RM : Improvisateur certes, mais aussi compositeur, deux facettes d’une même médaille ?
OI : Pendant de nombreuses années j’ai composé en enregistrant des improvisations à l’accordéon avec beaucoup de ces effets sonores qu’on retrouve notamment chez Sofia Gubaïdulina et d’autres compositions contemporaines d’importance, puis j’ai fait avec l’ordinateur des montages que j’ai complétés avec des prises de son faites sur des instruments électroniques, me retrouvant ainsi avec des œuvres mixtes dont j’ai progressivement élargi l’instrumentarium (cordes, piano préparé, percussions, instruments moyen orientaux). Le procédé est toujours le même : collecte de sons venant d’improvisations instrumentales diverses, puis un temps de traitement avant la finalisation avec le metteur en scène ou chorégraphe. Dans cette invitation à manipuler d’autres timbres que ceux de l’accordéon, j’ai croisé un contrôleur midi Eigenharp qui m’a permis de composer presque en temps réel en reproduisant avec finesse tous les timbres de l’orchestre. De fait, je suis venu à la composition de par le geste instrumental et non par une pensée musicale préétablie secondairement orchestrée.
RM : Expliquez-nous les différentes étapes conduisant de la commande à la performance.
OI : Il y a une première phase qui correspond à la quête du sens qui se fait sur la thématique, sur l’histoire, en collaboration avec le metteur en scène ou le chorégraphe. Puis commence mon travail d’improvisation non enregistré sur les timbres, les alliages de sonorités, les orchestrations, les associations d’instruments et de matière purement électronique ou instrumentale ; suivent ensuite l’enregistrement et la sélection des fragments choisis qui sont alors soumis au responsable du projet, adaptés aux nécessités du plateau par un travail interactif bénéficiant des influences mutuelles des deux parties. Ainsi nait le fichier numérique qui constitue une base de travail qui sera facilement modifié pour parvenir à un consensus et pour s’adapter au mieux au dispositif scénique.
RM : Vos compositions ne sont donc de fait jamais figées ?
OI : Absolument et c’est là le grand avantage du fichier-son, jamais gravé dans le marbre, mais au contraire toujours accessible à l’évolution, à la modification et au recyclage que j’utilise parfois.
RM : Autre point d’importance, vos compositions sur fichier ne sont jamais écrites. N’est-ce pas douloureux de se passer sciemment de la vision interprétative des autres musiciens ?
OI : De fait, l’interprétation se fait à deux niveaux : d’une part lors de la collecte du son, moment où chaque participant donne sa vision intérieure individuelle dans l’improvisation qu’il réalise, et d’autre part dans la finalisation de la scénographie sonore (Florent Dalmas) par mixage au plateau (dynamique, tempo, spatialisation…)
RM : Vous faites partie du club très fermé des musiciens maitrisant l’Eigenharp. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
OI : L’Eigenharp m’a affranchi de toute servitude, car sans précédent, sans passé et sans répertoire je me suis senti à son contact encore plus libre. C’est un instrument hyper expressif dans le cadre de l’improvisation, capable de reproduire tous les timbres réels enregistrés ou virtuels qui s’inscrit directement dans mon évolution personnelle à partir de l’accordéon midi électronique.
RM : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
OI : Echappant à l’abstraction de la musique pure, ma musique s’inscrit plutôt dans une veine narrative inspirée des rencontres et des thématiques traitées (chants soufis avec Abou Lagraa ; mise en miroir de l’Orient et de l’Occident avec le fantôme d’Azyiadé ; Beat génération avec Sur la Route de Kerouac). La dramaturgie autour de l’histoire me nourrit en me donnant des pistes stylistiques et des idées d’orchestration. Par exemple dans ma composition sur l’œuvre de Kerouac, j’ai beaucoup investi sur le free jazz, les sonorités du big band programmées sur l’Eigenharp, sur des batteries programmées, sur les chants indiens en improvisation avec l’accordéon de concert, etc. Le geste musical est pour moi toujours porteur de sens.
RM : Pour conclure, quels sont les projets importants dans votre actualité à court terme ?
OI : En tant que compositeur, on peut entendre une de mes créations électroacoustiques actuellement au château de Valençay dans le cadre de l’exposition « Du Louvre à Valençay » sur une scénographie de Florient Azoulay. J’ai également trois commandes en cours pour 2022 : une musique originale pour le ballet Sur tes épaules de Nawal Lagraa ; une musique électroacoustique pour le spectacle If Music Be The Food Of Love d’Alexandre Martin-Varroy ; une performance « Sur la route » d’après Jack Kerouac pour accordéon électronique et eigenharp en collaboration avec Xavier Gallais (conception), Adrien Zanni (scénographie sonore) et Florence Jamart (arts visuels). En tant qu’instrumentiste, je voudrais citer le projet « Radicalité » qui s’appuie sur la réalisation de partitions graphiques et animées dont je porte par ailleurs le projet en tant qu’enseignant d’improvisation générative.
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