Assurance vie : comment les épargnants sont délestés d’une partie de leur rendement
La statistique est presque passée inaperçue. Et pourtant, il s’agit d’une information essentielle pour les détenteurs d’un contrat d’assurance vie. En 2020, les provisions pour participation aux bénéfices (PPB) ont de nouveau augmenté, pour passer de 4,7% à 5,1%, selon les dernières données de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Avec cette hausse - la 9e consécutive -, les réserves provisionnées par les assureurs sur les fonds euros des contrats d’assurance vie représentent désormais pas moins de “4 années pleines de revalorisation”, selon le gendarme de l’assurance. Alors que les bénéfices mis de côté par les assureurs ont encore gonflé, le rendement du support à capital garanti de l’assurance vie a, dans le même temps, continué de s’effriter, pour passer de 1,46% en 2019 à 1,28% une année plus tard. Quatre années de rendement “dorment” donc dans la PPB constituée par les assureurs. Et bientôt cinq probablement, la rémunération du fonds euros étant appelée à casser le plancher de 1% en 2021, d’après les projections du cabinet Good Value for Money.
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La PPB, un mécanisme efficace par le passé...
Les réserves accumulées par les assureurs ont donc de quoi étonner, ces dernières venant considérablement grever la performance servie aux épargnants sur le fonds euros, déjà au ras des pâquerettes. Mais elles n’ont rien d’illégal : “La provision pour participation aux bénéfices est définie par le Code des assurances”, rappelle Franck Le Vallois, directeur général de la Fédération française de l’assurance (FFA). Certes, l’assureur doit, chaque année, reverser sur le fonds euros une “participation aux bénéfices”. Un rendement qui correspond au moins à 85% des bénéfices financiers (les rendements des actifs en portefeuille) et à 90% des bénéfices techniques (la différence entre les frais facturés et les frais réels). Mais il dispose d’une marge de manœuvre puisque ce rendement peut soit être, totalement et directement, intégré dans la rémunération du fonds euros, soit être en partie affecté à un compte de réserve, la fameuse “provision pour participation aux bénéfices” (PPB). Il doit alors redistribuer ce rendement dans le délai légal. “Un euro mis en PPB par l’assureur doit être redistribué au plus tard dans les 8 ans. Cet argent appartient donc aux assurés”, appuie Franck Le Vallois, qui veut “éviter de laisser penser que quand l’assureur dote cette provision, cet argent part dans sa poche”. Et le dirigeant de rappeler que la PPB, qui “permet de faire face aux mauvaises années financières, en reprenant tout ou partie de celle-ci pour lisser les effets sur le taux servi, est un mécanisme protecteur pour les assurés”. Il en veut pour preuve la crise financière de 2007-2008, après laquelle le rendement du fonds euros s’est maintenu à 4% en 2008 puis à 3,6% en 2009, après 4,1% en 2006 et 2007. “Par le passé, les assureurs ont repris sur leur PPB pour améliorer les taux servis aux assurés et éviter que les épargnants ne soient trop impactés par des conditions défavorables de marché. Avant crise financière (de 2007-2008, NDLR), la provision pour participation aux bénéfices représentait autour de 2,5% à 3% des encours. En 2011, elle avait diminué à 1,6%”, rappelle Franck Le Vallois. Force est donc de constater que la PPB avait à cette époque parfaitement joué son rôle d’amortisseur.
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… mais qui ne soutient plus les taux
Si le dirigeant de la Fédération française de l’assurance insiste sur l’effet bénéfique de la PPB pour les épargnants, c’est pour une bonne raison. En effet, de nombreux acteurs du marché doutent de cette bonne foi affichée. Car la situation a évolué depuis la dernière crise financière, les mises en réserve des assureurs ayant bondi de 1,6% en 2011 pour atteindre 5,1% 9 ans plus tard, le tout à coups de hausses comprises entre 0,1 et 0,6 point par an. “Depuis 2011, la PPB n’a cessé d’augmenter”, note ainsi Guillaume Prache, le président de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (Faider). S’il regrette cette tendance au gonflement des réserves, c’est parce que dans le même temps, les rendements servis aux épargnants ont considérablement fléchi. Or “l’objectif de la PPB est de mettre de côté les bonnes années pour reverser les mauvaises. Et ça n’est pas tout à fait ce qu’il se passe”, observe l’expert. En effet, même en période de vache maigre pour les assurés, les dotations aux provisions pour participation aux bénéfices ont été considérables - +0,6 point en 2017 et +0,3 point en 2018 - tandis que le rendement moyen du fonds euros s’affaissait à 1,80%. “Les versements sur la PPB se sont beaucoup développés, y compris lors des années où les rendements des fonds euros étaient très bas, voire négatifs en prenant en compte l’inflation”, conteste Guillaume Prache. Ainsi, selon le dernier rapport de Better Finance, la fédération européenne des épargnants et usagers des services financiers, publié au mois d’octobre, le rendement réel (net d’inflation) du fonds euros, après prélèvements sociaux (17,2%), est passé dans le rouge en 2018, à -0,4%, puis en 2019 (-0,5%), pour revenir en territoire positif en 2020 (+1,1%)... à la seule faveur d’une stagnation des prix à la consommation.
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Les taux bas, une menace ou un alibi pour les assureurs ?
Interpellé sur les trajectoires croisées des taux servis et des réserves constituées par les assureurs, Franck Le Vallois insiste sur les conséquences néfastes des taux des obligations, qui garnissent majoritairement les fonds euros. Car après de longs mois en territoires négatifs, le rendement de l’obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans est seulement revenu dans le vert il y a quelques jours, à 0,216% le 20 octobre dernier. “Tant que les taux resteront négatifs, ou bas, ils rogneront tendanciellement le rendement du portefeuille général des assureurs, ce qui les incitera à rester prudents, anticipe le directeur général de la Fédération française de l’assurance. Et face à cette incertitude, l’assureur doit protéger l’épargne de ses assurés”, clame-t-il. Autre menace pesant sur le rendement du fonds euros : une possible correction sur les marchés financiers dans les prochains mois. Les fonds euros étant en moyenne composés à 8,63% d’actions à fin 2019, selon Good Value for Money, un plongeon des cours de Bourse éroderait - même marginalement - là encore le taux du support à capital garanti. “Dans un scénario où les rendements financiers seraient impactés négativement par les marchés, la provision pour participation aux bénéfices permet aux assureurs d’amortir en partie le choc”, justifie ainsi Franck Le Vallois.
Un message porté de longue date par le gouverneur de la Banque de France et président de l’ACPR, François Villeroy de Galhau, qui exhorte depuis de nombreuses années les assureurs à abaisser le rendement du fonds euros pour coller aux taux bas qui les pénalisent. Un conseil qui n’est pas dénué de sens pour Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Good Value for Money, et ce, même en cas de remontée des taux obligataires : “Il se peut que les taux d’intérêt, et l’inflation, remontent à l’avenir. Et la PPB est une sécurité par rapport à ce type d’éventualité.” En d’autres termes, en cas d’envolée des taux, ou de relèvement de ces derniers aux alentours de 1-1,25%, les rendements mis en réserve pourront venir soutenir la performance du fonds euros, le rendre plus attractif... et donc éviter les sorties sur les contrats d’assurance vie au profit d’autres placements plus rentables, tels que les livrets d’épargne réglementée, Livret A en tête, qui profiteraient à l’inverse du retour de l’inflation.
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Des marges de manœuvre supplémentaires pour les assureurs
Certes, le comportement des assureurs s’adapte forcément à la conjoncture morose sur les taux, mais leurs motivations réelles seraient à chercher ailleurs, selon Cyrille Chartier-Kastler : “Les assureurs veulent dissuader les épargnants d’aller sur le fonds euros. C’est pour cela qu’ils versent une partie du rendement financier dans la PPB”, glisse l’expert. Une mise en cause que réfute vertement le dirigeant de la FFA, qui certifie que les mises en réserves “ne constituent pas un levier pour pousser les épargnants vers les unités de compte (UC)”, des supports (actions, immobilier…) sur lesquels les assurés portent le risque de perte en capital, et non plus les assureurs comme sur le fonds euros. Autre hypothèse portée par Cyrille Chartier-Kastler : les assureurs gonfleraient la PPB pour améliorer leur ratio prudentiel. Ces derniers peuvent en effet, depuis 2019, prendre en compte 70% de ces réserves dans leur marge de solvabilité et ainsi se couvrir en cas de remontée des taux obligataires. D’où la tentation “de continuer à augmenter leurs provisions pour participation aux bénéfices au lieu de commencer à les redistribuer pour maintenir le pouvoir d’achat (rendements) des assurés”, dénonçait auprès de Capital Guillaume Prache en septembre 2020. Mêmes dénégations encore du côté de la Fédération française de l’assurance : “Dans un marché hyper concurrentiel, la compétition entre produits via les taux servis sur le fonds euros fait que les assureurs ne dotent pas la PPB dans le but d’améliorer leur solvabilité”, tranche simplement Franck Le Vallois.
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2021, “une année test”
On l’aura compris : les assureurs font valoir une posture de bon père de famille et défendent leur politique prudente de mise en réserves par les risques pesant sur les fonds euros. Mais pendant combien de temps encore ? Guillaume Prache se demande “quand les épargnants vont récupérer la PPB, car le petit jeu peut durer longtemps”. “Les assureurs sont partis pour continuer”, prédit de son côté Cyrille Chartier-Kastler. Les réserves pourraient donc encore gonfler cette année et les assureurs continuer de “faire tourner la lessiveuse pour restituer la PPB 50 ans plus tard”, ajoute malicieusement le fondateur du cabinet Good Value for Money.
Sauf que de leur côté, les épargnants ne disposent pas d’un horizon aussi long. Ils devraient même être très pressés de récupérer cette manne providentielle au plus tôt. Car l’inflation couplée à l’érosion de la rémunération du support à capital garanti devrait, sans soutien des assureurs, faire plonger le taux réel servi pour 2021 : “La moyenne des rendements du fonds euros risque d’être inférieure à 1% et l’inflation proche de 3% (+2,2% en septembre, NDLR), avertit Guillaume Prache. 2021 risque fort d’être la pire année des fonds en euros pour les épargnants et sera donc une année test pour voir si la PPB va être utilisée pour compenser un peu, ou beaucoup, la perte réelle.” Les épargnants seront, eux, fixés dans quelques mois, les premiers rendements étant communiqués par les assureurs au mois de janvier prochain.
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