Pourquoi cette chanson d'Hubert Lenoir ressemble à du Gérald de Palmas
Un texte de Pascale Fontaine
« Je suis venu te dire que tu peux changer » : ces paroles du jeune chanteur de Québec ont marqué bien des esprits. Cette pièce lui a permis de décrocher plusieurs prix en quelques mois, notamment le titre de Révélation chanson Radio-Canada, le prix Félix-Leclerc aux Francos et dernièrement le prix Espoir du Festival d’été de Québec.
Or, à l'écoute du refrain, particulièrement, certains internautes ont l’impression d’entendre la rengaine de Sur la route, chanson qui a fait découvrir à la France un autre artiste : Gérald de Palmas. Le succès a été lancé en 1995, la même année qu'est né Hubert Lenoir.
Écoutez-le par vous-même.
Pourquoi entend-on la même chose?
« J’ai beaucoup écouté les deux chansons et ça laisse entendre que les refrains sont étonnamment similaires », observe Claire McLeish, musicologue de l’École de musique Schulich à l’Université McGill.
Plusieurs facteurs expliquent cette impression de similitude, affirme cette spécialiste en violation du droit d’auteur.
Elle souligne la ressemblance dans la façon dont s’assemblent la mélodie et la progression des accords dans les deux chansons. Les mélodies sont pratiquement les mêmes, « note pour note ».
« Elles commencent sous la note tonique [le premier degré de tonalité des gammes majeures et mineures], ça monte jusqu’au 6e degré et ça retombe par la suite. » La basse joue le même rythme syncopé (un déplacement de l’accent très présent dans le blues et le jazz) et la guitare arrive en contrepoint.
Autre point : les rimes et le rythme de livraison. « Les chanteurs chantent le texte sur un rythme similaire et les deux refrains se terminent avec la même rime en “é”. » Gérald de Palmas dit : « Car j’étais sur la route tout la sainte journée » alors que Lenoir y va de « Je suis venu te dire que tu peux changer ». Seule différence sur ce point : la fin. Le refrain de Fille de personne II se termine avec « j’ai lu son avenir ».
Enfin, ces similitudes surviennent durant le refrain, partie souvent considérée comme la caractéristique déterminante d’une pièce.
La réaction d'Hubert Lenoir
En entrevue à Radio-Canada, Hubert Lenoir, lui, est catégorique.
« Même si je l’avais connu dans mon jeune temps, ce n’est vraiment pas le genre de musique qui me fait triper, ça ne m’aurait pas inspiré de toute façon, dit-il, frondeur. Donc, je n’ai pas fait une découverte malheureusement en le découvrant. »
« Je comprends que les gens peuvent faire un lien dans leur tête, reconnaît l'artiste qui lui-même note souvent des similitudes en musique, au cinéma et en arts. Mais ce ne sont pas les mêmes accords, pas la même rythmique. Ce n’est pas la même mélodie non plus. Les gens font le lien parce que peut-être que c’est des rimes en “é” ».
La musicologue voit d’autres différences. Avec ses mélismes où il charge plusieurs notes sur une syllabe, « Gérald de Palmas est influencé par le blues ou le gospel. [...] Il est plus direct, très “carré”. C’est plus typique de l’époque : il porte un costume, tiré à quatre épingles. C’est une image traditionnelle de la masculinité. »
En contrepartie, « Hubert Lenoir pige plus dans le glamrock des années 70 », notamment en ajoutant du saxophone, ajoute Claire McLeish. Sa façon de chanter fait aussi en sorte que la livraison se démarque, [bien que] sur papier, les notes sont les mêmes.
Hubert Lenoir pourrait-il se faire critiquer pour ces similitudes?
« Il y pourrait y avoir matière à litige », conçoit la musicologue en songeant au cas de Blurred Lines, chanson la plus vendue en 2013.
Reconnus coupables d’avoir plagié une pièce de Marvin Gaye, Robin Thicke et Pharrell Williams ont été condamnés en 2015 à verser 7,4 millions de dollars aux héritiers du prince du soul.
« [Les accusations] portaient plus sur le ressenti, le tempo et le rythme. [Dans le cas d’Hubert Lenoir], cela porte sur des éléments musicaux mécaniques plutôt que sur une chose plus difficile à prouver comme le ressenti et le tempo [chez Thicke]. »
Il faut remonter en 1971 pour trouver un cas similaire à celui de Fille de personne II. George Harrison s'est fait poursuivre pour avoir repris le refrain de He’s So Fine, de The Chiffons, dans My Sweet Lord. La poursuite, qui s’est étirée sur cinq ans, s’est conclue par un verdict de « plagiat non intentionnel » pour l’ex-Beatle.
« Les accords et les refrains de George Harrison et The Chiffons ne sont pas exactement les mêmes, mais ils demeurent très semblables », illustre Claire McLeish qui en a fait l'analyse. « C’est très intéressant parce que je pourrais imaginer que [comme dans le cas de Harrison] Hubert Lenoir aurait pu entendre la chanson de Gérald de Palmas par le passé, durant son enfance. »
Le fardeau de la preuve peut être colossal. « Il faut établir que la personne qui a violé [le droit d’auteur] avait eu accès à l’oeuvre auparavant », explique Stéphane Moraille, spécialiste en droit du divertissement et chanteuse anciennement de la formation Bran Van 3000.
La personne pourrait avoir exprimé par exemple la volonté de faire une chanson pareille ou bien ses parents possédaient des albums de l’artiste lésé.
Les limites de la pop
Fille de personne II ne serait pas l’unique pièce ressemblant au succès de Gérald de Palmas, nuance toutefois Stéphane Moraille. Une conséquence d'un certain formatage de la musique pop et du manque de diversité des radios commerciales.
« L’agencement des notes en musique populaire est limité parce que les chansons durent en moyenne trois minutes. Si on creusait un peu plus, on pourrait trouver dix autres chansons qui sont à peu près pareilles [à Sur la route]. »
Elle rappelle d'ailleurs cette citation de George Harrison, après qu'il a été reconnu coupable de plagiat : « 99 % de la musique populaire qu'on peut entendre évoque une chose ou une autre. »
Selon elle, le phénomène de ressemblance va en augmentant avec la démocratisation des moyens de diffusion. Pensons seulement à la multiplication des outils de production et des plateformes comme YouTube, Facebook, Instagram.
« Il y a une prolifération d’artistes, donc le bassin de créativité, d’originalité se réduit », dit-elle, pointant du même coup le manque de diversité à la radio commerciale.
« Beaucoup de chansons dans les palmarès radio utilisent une certaine progression d’accords ou encore un tempo très à la mode, elles finissent donc par sonner de la même façon », abonde en ce sens Claire McLeish. Par contre, « dans ce cas-ci, cela va au-delà de la similitude d’un genre en particulier ».
Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)Gérald de Palmas, en 2016
Photo : AFP / Martin Bureau
La musicologue de McGill n’est toutefois pas prête à condamner le jeune chanteur pour autant. « Lenoir fait quelque chose d’absolument nouveau », conclut-elle.
Pour Stéphane Moraille, il n’y a pas de faute. « Dans l’ensemble, l’oeuvre présente des caractéristiques originales. [...] Il faudrait vraiment établir l’originalité de la structure du refrain. »
« Je vais continuer d’aller voir chanter Hubert Lenoir », dit-elle avec le sourire.
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